En s’associant à des prestataires technologiques tiers et en créant des unités Fintech autonomes, les banques peuvent repenser leur approche de l’innovation
Les banques traditionnelles sont de plus en plus nombreuses à reconnaître la nécessité d’innover et d’adopter les nouvelles technologies pour rester pertinentes et compétitives dans un monde bousculé par la course au numérique et l’émergence des banques challengers. Pourtant, s’il existe bien une volonté de transformation, la culture organisationnelle peut parfois y faire obstacle.
« Contrairement à ce que l’on observait il y a quelques années, on remarque actuellement un grand désir d’innover et de changer. Les banques traditionnelles savent qu’elles doivent se réinventer, mais la réalité est qu’elles doivent rester concentrées sur la protection des fonds de leurs clients, sur la conformité et sur l’absence de dysfonctionnements, explique Lewis Nurcombe, vice-président mondial des ventes à Currencycloud, un prestataire de paiements transfrontaliers. L’envie de changer est donc là, mais il faut juste qu’elles protègent en priorité ce qu’elles ont déjà. »
Une grande partie de l’infrastructure dont disposent les banques est axée sur ces priorités : garder les lumières allumées et préserver la situation actuelle.
« La culture vient en second lieu, car invariablement, lorsque les projets d’innovation ne fonctionnent pas, nous mettons cela sur le dos de la culture, explique M. Nurcombe. Mais généralement, il s'agit simplement d'une personne de l'équipe technique qui dit que le projet ne peut pas être mené à bien parce qu'il expose le système à des risques. La culture et l’héritage technologique, en tant qu’obstacles à l’innovation, sont donc totalement imbriqués. »
L’un des défis auxquels sont confrontés les grands établissements financiers au regard de leur culture d’entreprise est qu’ils ont tendance à se concentrer sur des ensembles de compétences spécifiques, sur l’expérience et sur la formation lorsqu’ils recrutent du personnel, plutôt que sur des traits de caractère personnels qui pourraient indiquer un état d’esprit plus créatif.
« Culturellement, au sein des entreprises, on a tendance à considérer que personne n’est indispensable, car si vous n’êtes pas en mesure d’accomplir une fonction spécifique, vous serez remplacé par quelqu’un qui le pourra, et cette décision repose généralement sur quelques cases à cocher, indique Arno von Helden, responsable de Shyft, l’application Fintech de la Standard Bank axée sur le marché des changes. La réalité est que la réussite ou l’échec des personnes dépendent de facteurs plus importants, tels que le dynamisme, l’ambition et la passion, des éléments que l’on ne peut pas mesurer en cochant une case. Et c’est donc bien à travers ce prisme que la culture d’entreprise peine à progresser de manière significative et à faire preuve d’innovation et d’esprit d’entreprise dans sa façon de penser, parce que les banques recherchent des personnes qui cochent certaines cases. »
Une partie du problème tient au fait que lorsque les organisations atteignent une certaine taille, elles perdent souvent l’esprit entrepreneurial qui a présidé à leur création. Prenons l’exemple de la Standard Bank. Lorsqu’elle a été fondée au XIXe siècle, elle visait à combler un vide sur le marché en proposant des prêts aux éleveurs de moutons du Cap oriental, en Afrique du Sud. Cependant, à mesure que les organisations se développent et prennent de l’envergure, la capacité à prendre des risques diminue naturellement, comme le souligne M. von Helden.
« Vous vous concentrez davantage sur la protection de votre marque et sur la volonté de ne pas perdre de clients, explique-t-il. À ce stade, vous commencez à privilégier l’embauche de personnes qui voient le monde sous cette même perspective. Elles ont pour objectif de protéger la marque et se mettent à envisager tous les risques susceptibles de lui nuire. Les organisations deviennent alors très réfractaires au risque, ce qui ne constitue pas un terrain fertile pour l’innovation. »
Les banques doivent trouver un juste équilibre entre cette frilosité et une culture plus innovante.
« La culture de l’organisation doit comporter un certain niveau d’aversion au risque, car s’il n’y avait qu’une bande de cow-boys ou de francs-tireurs courant dans tous les sens, il y a de fortes chances que cela fasse des dégâts, explique M. von Helden. Les banques ne doivent pas passer d’une culture d’aversion au risque à une culture de prise de risque : elles doivent trouver un juste milieu. »
Certains opérateurs historiques tentent de résoudre ce problème en créant des entreprises Fintech autonomes qui exercent leurs activités indépendamment de leur organisation générale.
« Les banques qui y parviennent le mieux sont en fait celles qui décloisonnent les unités commerciales ou en créent de toutes nouvelles qui ressemblent beaucoup plus à une organisation de type startup, explique M. Nurcombe. Cela a pour effet de leur permettre de faire abstraction de toutes les politiques que l’on rencontre généralement dans une grande entreprise où les priorités de l’organisation ou des services sont contradictoires. »
Cela peut également permettre aux organisations d’embaucher des personnes qui ont un état d’esprit tourné vers la croissance, par exemple celles qui ont travaillé dans une Fintech ou dans une startup plutôt qu’une personne qui a travaillé longtemps dans une banque traditionnelle », poursuit M. Nurcombe.
« Plus important encore, cela signifie qu’elles peuvent s’éloigner de cet environnement où elles sont tenues de protéger ce qu’elles ont déjà pour dire : “nous sommes une toute nouvelle organisation, nous devons nous développer et créer quelque chose qui génère de la valeur et que les gens veulent”, et à partir du moment où vous adoptez cet état d’esprit, c’est là que vous pouvez vraiment bâtir quelque chose de nouveau », ajoute-t-il.
C’est cette approche que la Standard Bank a adoptée en lançant Shyft.
« Si nous avons créé une Fintech au sein d’une organisation, c’est parce que l’organisation elle-même avait du mal à résoudre des problèmes qui nécessitaient une pensée innovante et entrepreneuriale, explique M. von Helden. L’organisation mettait en place des stratégies et des capacités techniques dans l’espoir de résoudre ces problèmes, mais en réalité, elle ne les résolvait pas de la manière dont ils devaient l’être. »
Selon M. von Helden, le fait de fonctionner comme une jeune entreprise Fintech permet aux employés d’être plus créatifs et d’adopter un état d’esprit plus entrepreneurial, car ils ont une idée de ce qu’ils veulent réaliser et de la manière dont ils veulent développer l’entreprise, ce qui leur donne un plus grand sentiment d’appartenance.
« Les banques doivent créer des véhicules et des opportunités pour explorer de nouvelles voies, explique-t-il. Les grandes organisations n’ont pas besoin de réinventer soudainement leur culture, mais elles doivent créer des environnements où les idées ont une tribune et où il y a des personnes capables de nourrir et de faire croître ces opportunités si nécessaire. »
L’avantage de cette approche est qu’elle peut permettre aux banques de tester de nouvelles idées et d’échouer sans que cela ait un impact négatif sur l’ensemble de l’entreprise.
« Il n’est pas nécessaire de construire la solution définitive dès le premier jour. Il suffit d’innover pour une toute petite fraction de votre clientèle, voire pour des clients que vous n’avez pas encore, et de construire un MVP (produit minimum viable) qui résout un problème client vraiment spécifique, estime M. Nurcombe. Il n’y a aucune raison d’exposer votre banque existante à cette innovation. Vous pouvez le faire en parallèle et supprimer tous les risques. »
Les banques peuvent alors développer de nouveaux produits à leur propre rythme et faire migrer lentement les clients lorsqu’elles sont prêtes, plutôt que de se hâter de transférer tous les clients en une seule fois, au risque de déstabiliser les branches d’activité existantes.
« Une chose que la communauté Fintech oublie parfois, c’est que les banques réalisent déjà aujourd’hui d’énormes revenus et qu’elles ont des modèles économiques remarquables qui fonctionnent, souligne M. Nurcombe. Parfois, il n’est pas vraiment judicieux d’innover et de cannibaliser une source de revenus exceptionnelle. »
Les banques traditionnelles qui s’en sortent le mieux innovent par petites touches. Pour M. Nurcombe, cette approche reflète ce que Kendall Roy, dans la série Succession de HBO, appelle la « stratégie des mille canots de sauvetage » : une organisation construit une multitude de petits radeaux de sauvetage qui s’éloignent du grand navire en perdition et innovent chacun à leur tour.
« C’est ce que font les banques qui réussissent en ce moment », constate M. Nurcombe.
Les banques traditionnelles peuvent également apprendre des banques challengers sur la façon dont elles abordent l’innovation », ajoute-t-il.
« Un grand nombre de banques novatrices ont été créées dans un esprit d’innovation où il s’agit avant tout de croissance et de technologie, si bien qu’elles intègrent une culture différente, explique M. Nurcombe. Mais la principale réussite des banques numériques est que, par nécessité, elles n’ont pas essayé de tout concevoir par elles-mêmes, elles ont été très réceptives aux partenariats avec des tiers et à la mise en commun de différentes solutions. Dans ce domaine, les banques traditionnelles ont encore beaucoup à apprendre. »
Il y a deux grandes raisons pour lesquelles les banques devraient envisager de s’associer à des fournisseurs tiers plutôt que d’essayer de développer leur propre technologie en interne. La première est la vitesse de mise sur le marché.
« Si vous êtes une banque avec une énorme clientèle, il est vraiment important que vous vous concentriez sur la mise sur le marché d’un produit et que vous l’adaptiez à vos clients, explique M. Nurcombe. Ce que vous ne voulez pas faire, c’est essayer de tout construire en partant de zéro ; lorsque vous aurez terminé, le marché aura évolué, l’opportunité aura été perdue ou quelqu’un d’autre l’aura déjà mis en place. Cette rapidité de mise sur le marché est un aspect sur lequel les banques novatrices, celles qui ont véritablement réussi, ont été fantastiques. »
Le deuxième avantage est que les banques ont besoin de moins de ressources pour assurer la maintenance des logiciels tiers, ce qui contribue à réduire les coûts d’exploitation.
« À en croire la vieille école, chaque organisation devait posséder et contrôler tous les aspects de ses activités, explique M. von Helden. Mais aujourd’hui, à une époque où les avancées technologiques sont si rapides, il devient presque impossible pour une seule organisation de disposer de tous ces systèmes différents et d’être à la pointe de leur développement. »
Les banques devraient donc se concentrer sur leur offre principale, à savoir la fourniture de services bancaires aux clients, et nouer des partenariats pour tout le reste.
« Adressons-nous à un prestataire qui se concentre à 100 % sur, disons, les paiements transfrontaliers internationaux, qui peut fournir la meilleure technologie de sa catégorie et qui assumera la propriété et la responsabilité du développement de celle-ci sans que nous ayons à investir dans la technologie nous-mêmes », propose Von Helden.
Tout cela exige une nouvelle façon de penser qui adopte une culture de fonctionnement plus collaborative.
« Le sentiment initial parmi les acteurs en place était de se prémunir contre cela, poursuit M. Von Helden. Aujourd’hui, on s’est rendu compte qu’il ne s’agit plus de se protéger, mais d’établir des partenariats. Il s’agit de tirer parti de ces partenariats et d’être pertinent. C’est une façon radicalement différente de penser. Il s’agit d’une mentalité de plateforme ouverte et intégrée, par opposition à une mentalité de protection cloisonnée et barricadée. »
Le partenariat en action
Les banques challengers ont réussi à bouleverser le secteur bancaire grâce à leur esprit d’innovation et à leur volonté d’adopter de nouvelles idées. Mais c’est leur besoin d’externaliser leurs impératifs technologiques auprès de prestataires tiers qui leur a permis d’avancer rapidement et de défier les entreprises en place. Les banques traditionnelles ont toujours été réticentes à faire appel à des tiers, en partie par aversion au risque, mais aussi parce qu’elles disposent de vastes ressources internes.
« Bon nombre de banques novatrices disposaient de fonds limités à leurs débuts, ce qui les a obligées à choisir leurs batailles, en plus de devoir se lancer rapidement sur le marché », explique Lewis Nurcombe, vice-président mondial des ventes à Currencycloud.
Grâce au partenariat avec Currencycloud, ces banques novatrices ont pu proposer des capacités transfrontalières à leurs clients sans avoir à les développer elles-mêmes. Il leur suffisait de se connecter à l’API de Currencycloud pour disposer d’une offre transfrontalière standard immédiatement exploitable. Elles ont ainsi pu se concentrer uniquement sur l’amélioration de l’expérience clientèle et le développement de leurs activités.
« Ce fut un véritable facteur de succès pour les banques challengers : la branche des opérations transfrontalières était l’une des plus opaques du secteur et elle était prête pour ce grand chamboulement. Cela explique pourquoi un grand nombre de ces banques ont commencé par là, dans des domaines aussi divers que les dépenses de vacances ou l’envoi d’argent liquide des migrants dans leur pays d’origine », explique M. Nurcombe.
Les banques novatrices ont reproduit cette approche de partenariat avec d’autres prestataires à travers leurs organisations, s’assurant ainsi de toujours disposer de la technologie la plus récente du marché pour leurs différentes lignes de produits.
« Comme tout le monde a continué d’innover, on s’est retrouvé avant même de s’en rendre compte avec une plateforme qui ne cessait de s’améliorer année après année », conclut M. Nurcombe.
Si la technologie de Currencycloud a contribué à stimuler la croissance d’un certain nombre de banques challengers, les banques traditionnelles se tournent également de plus en plus vers des tiers pour alimenter leurs initiatives de transformation numérique. Par exemple, Shyft, l’application de change de la Standard Bank, s’appuie sur la technologie de Currencycloud. La banque devait créer l’application rapidement afin d’être sur le marché avant les Fintech concurrentes. Le partenariat avec Currencycloud lui a permis d’aller plus vite que si elle avait développé la technologie en interne.
« Le partenariat avec Currencycloud a été essentiel au succès de Shyft, commente Arno von Helden, responsable de Shyft. Currencycloud a vraiment compris les défis auxquels la Standard Bank était confrontée et a fourni une solution qui a accéléré nos délais de mise sur le marché, tout en réduisant les coûts et en assurant l’efficacité opérationnelle. »